Comment faire de la croissance ? Cette question est sur toutes les lèvres européennes et l’UE se doit naturellement apporter sa pierre à l’édifice dans la résolution de ce problème central. Toutefois, la dernière proposition de Bruxelles a de quoi étonner : ajouter au calcul du PIB les activités de l’économie parallèle, comme la prostitution ou le trafic de drogues. Aubaine ou tragédie éthique ?
Espagne, Italie, Belgique et Royaume-Uni sautent sur l’opportunité
Les nouvelles normes du Système européen des comptes, de son petit nom SEC 2010, préconise d’ajouter dès septembre prochain les activités souterraines dans le calcul du PIB, ainsi que les dépenses de recherche et développement. Pour Eurostat, le principe est à la fois simple et froid : il est logique de tenir compte de tous les échanges économiques et de toutes les valeurs ajoutées monétaires, sans avoir à juger de leur caractère nuisible dès lors que l’échange s’effectue entre des parties mutuellement consentantes.
Incontestablement, cette réforme ne sera pas marginale. Elle est même perçue comme l’opportunité d’atténuer de mauvaises performances économiques par un certain nombre de pays où l’économie souterraine est un phénomène répandu. C’est le cas de l’Espagne qui pourrait voir son PIB gonfler de 4,5 % et son déficit descendre sous le seuil fatidique de 6,5 % fixé par Bruxelles. C’est le cas de l’Italie, qui a évalué le poids de l’économie criminelle à 10,9 % du PIB. Avec ce nouveau calcul, Rome pourrait accroitre son PIB de 2,4 %, donnant au gouvernement des marges de manœuvre budgétaires complémentaires.
Ailleurs en Europe, comme en Belgique ou au Royaume-Uni – donc pas vraiment des pays méditerranéens – on tend aussi à bien accepter cette nouvelle directive de l’Europe. En effet, Londres escompte ajouter 10 milliards de livres (12,3 milliards d’euros) à son PIB, venant moitié-moitié des revenus de la drogue et de la prostitution.
L’INSEE rabat-joie
En fait, un seul Etat membre de l’Union européenne semble véritablement s’offusquer de cette nouvelle disposition comptable. Il s’agit évidemment de la France, pays incapable de relancer son économie par des réformes ancrées dans la modernité. Et pour incarner ce rôle de rabat-joie conservateur : l’INSEE. Problème : l’Institut national de la statistique avance des arguments de bon sens et d’éthique élémentaire. La personne qui se drogue est dépendante, prisonnière d’une consommation et ne consent donc pas librement à l’échange. Quant à la prostitution (de rue), elle est "plutôt le fait de réseaux mafieux et relève plutôt de la traite de personnes en situation irrégulière. Le critère de consentement mutuel n’est probablement pas vérifié".
La question de la comptabilisation du travail au noir et de l’économie parallèle se pose incontestablement. Dans les pays où ce phénomène est important en particulier, car il peut contrebalancer dans une certaine mesure les performances économiques officielles. En revanche, l’opportunité de prendre en compte les revenus issus du trafic de drogue et de la prostitution, elle, est douteuse. Sur le plan moral donc, mais aussi économique. Pour que ce mode de calcul ait un impact durable sur le PIB des Etats, il faudrait en effet que l’économie criminelle… progresse.
Et comme l’explique l’économiste Jean Gadrey dans les colonnes d’Alternatives économiques, peut-être vaudrait-il mieux comptabiliser le travail domestique comprenant l’éducation des enfants ou les soins aux personnes âgées. De la même manière que considérer les dépenses de recherche et développement est également justifié : cette disposition devrait permettre à la Suède et la Finlande de (légitimement et durablement) doper leurs PIB de 5 %...