Pour Michel Rocard, la coupe est pleine. Il est selon lui grand temps de mettre un terme à 40 ans de faux semblants entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. La construction européenne est empoisonnée par les Britanniques qui ne sont intéressés que par les avantages financiers et bancaires du Marché unique et qui tuent systématiquement dans l’œuf toute velléité d’approfondissement démocratique, politique et social. Retour sur la charge de l’ancien Premier ministre français.
Du couple Heath-Pompidou au couple Thatcher-Delors
Plus que jamais, les Britanniques sont les "meilleurs ennemis" de la France. Un mélange d’admiration – ils ont apporté la démocratie au monde et ont gagné la Guerre, eux – et d’exaspération – leur insularité est leur bien le plus précieux et de leur tour d’ivoire, ils nous toisent. C’est Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991, puis député européen de 1994 à 2009, qui le dit.
Entrés en 1973 dans la Communauté économique européenne (CEE), les Britanniques entretiennent depuis une position pour le moins distante vis-à-vis de la construction européenne. A tel point que pour Michel Rocard, cette adhésion est un « malentendu » : il aura fallu attendre la mort du général de Gaulle, farouche opposant à l’entrée du Royaume-Uni. Certes. Attention quand même à ne pas présenter le général de Gaulle, surtout promoteur d’une Europe des nations, comme un Européen convaincu. Et plus que son décès, il aura fallu également un concours de circonstances : que le conservateur Edward Heath soit le Premier ministre britannique le plus europhile du XXe siècle et qu’il entretienne une étroite amitié avec le président Pompidou !
Las, le couple Heath-Pompidou fit long feu. Le conservateur britannique fut délogé du pouvoir par les travaillistes et le président français finit emporté par la maladie. Les remplaça une association nettement moins heureuse : celle de Margaret Thatcher et Jacques Delors. Entre la très europhobe, libérale et conservatrice Dame de fer et le président de la Commission européenne instigateur de l’Acte unique européen et du traité de Maastricht, cela ne pouvait pas marcher. Les Britanniques ont repris leurs distances, réclamé une ristourne sur leur participation financière et enrayé l’approfondissement de l’intégration européenne. Ici aussi, difficile de contredire Michel Rocard.
Sauf qu’il est quelque peu cavalier de rejeter l’échec relatif des traités de Maastricht, puis d’Amsterdam, puis de Nice sur le seul Royaume-Uni. Peut-être auraient-ils volontiers signé pour ce scénario, mais ils auront été aidés par les divisions de la classe politique française vis-à-vis de l’Europe. Vestige du gaullisme. L’étroitesse de la victoire du « oui » à Maastricht et donc à la monnaie commune est aussi, et peut-être surtout, de la responsabilité de la France. Le RPR, qui devance déjà largement un Parti socialiste moribond, se déchire entre Jacques Chirac, pragmatique Européen, et Philippe Séguin, fidèlement souverainiste. La gauche, unie mais impopulaire, ne fera pas décoller la campagne et prépare déjà le désastre des Européennes de 1994, duquel Michel Rocard se trouvera d’ailleurs en première ligne.
Quitter l’Union européenne pour Jean-Claude Juncker ?
Depuis, le Royaume-Uni n’a pas dévié sa position d’un iota. Le Marché unique, oui. L’euro et l’intégration économique, sociale et fiscale, non. Pour ce faire, le vote à l’unanimité au Conseil européen peut servir. Tout comme l’adhésion de nombreux autres pays. Tous ont reçu l’approbation de Londres, qui ne verrait d’ailleurs pas d’un mauvais œil l’arrivée de la Turquie, en guise de coup de grâce. Un point sur lequel Michel Rocard logiquement discret, s’étant lui-même rangé à cet avis. Quoique peut-être par pragmatisme : l’Europe politique ne se fera plus.
Mais, n’en déplaise à David Cameron, Michel Rocard n’est pas résigné. Les manœuvres de l’actuel locataire du 10 Downing Street pour écarter Jean-Claude Juncker de la course à la présidence de la Commission européenne ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce devait être l’occasion de redonner des couleurs à la démocratie européenne. Le vainqueur, même relatif, des élections européennes doit avoir les coudées franches pour essayer de trouver une majorité au Parlement et ainsi prendre la présidence de la Commission. Pourtant conservateur, Jean-Claude Juncker n’est pas du goût de M. Cameron. Beaucoup trop fédéraliste et pas assez effacé face aux chefs d’Etat et de gouvernement. Un point de non-retour pour les Britanniques, il est vrai.
Néanmoins sur ce terrain, le Royaume-Uni devrait une nouvelle fois être bien aidé. Angela Merkel essaie de ménager la chèvre et le chou et, malgré un soutien affiché à Jean-Claude Juncker, pourrait finalement avancer le nom Christine Lagarde. Parce qu’elle est de droite. Parce qu’elle est libérale. Parce qu’elle n’est pas fédéraliste. David Cameron approuverait. Et comme elle est française, François Hollande aussi, d’autant qu’il ne semble plus vraiment enclin à entrer dans la bataille pour défendre l’ancien Premier ministre luxembourgeois…
Alors oui, Michel Rocard s’est emporté. Oui, Michel Rocard a simplifié quelques éléments au passage. Mais mettre le Royaume-Uni devant ses contradictions est salutaire. Les menaces de sortie de l’UE, dès que tout n’est pas conforme aux intérêts britanniques suffisent. Les manœuvres perpétuelles pour ne jamais mettre un homme ou une femme d’envergure et conquis à l’idée européenne aux postes clés suffisent. Contribuer à enrayer la progression démocratique de l’Union européenne suffit.