Union bancaire ? Travailleurs détachés ? Non, le dossier majeur de la dernière session plénière du Parlement européen avant les élections du 25 mai a été la retraite de Daniel Cohn-Bendit… et de Joseph Daul aussi, un peu. C’est une petite tragédie pour l’ambiance, c’est un vide pour le débat politique, Dany le Rouge quitte Bruxelles après 20 ans de bons et loyaux services. Il gagnera d’abord Rio de Janeiro pour réaliser un documentaire sur la coupe du monde de football, avant de « prendre le temps », enfin.
En fait, Joseph Daul avait prévu le coup. Pourtant lui aussi un « poids lourd » du Parlement européen, il savait que son discours de sortie serait éclipsé par celui de Daniel Cohn-Bendit. Alors le président du groupe PPE, qui ne brigue pas un quatrième mandat consécutif, a anticipé. Quelque peu en roue libre, il a d’abord fait le déplacement en Hongrie, début avril, pour aller soutenir le controversé Viktor Orban dans le cadre des élections législatives. Puis il a sèchement remis à sa place son camarade de l’UMP Laurent Wauquiez auteur d’une saillie maladroite sur le Luxembourg qu’il a qualifiée « d’intolérable et stupide ». Et, clou du spectacle, il a expliqué aux Dernières nouvelles d’Alsace que son sentiment européen était certainement né quand il avait 18 ans. Le natif de Strasbourg devait en effet passer la frontière et aller jusqu’à Kehl pour pouvoir… voir des films pornos. Et il arrivait souvent en retard par rapport à la séance en raison du temps de passage à la douane ou bien manquait-il de deutsche marks pour payer l’entrée. Une déclaration qui a fait le tour d’Europe…
Le tour d’Europe, le dernier discours, plus pro-européen que jamais, de Daniel Cohn-Bendit en séance plénière, y a également eu droit. Depuis hier, les journaux se relaient pour retracer le parcours du plus illustre des eurodéputés de ces dernières années. Depuis les pavés de mai 68, il est vrai que personne n’aura jamais réussi à faire taire l’insolent tribun. Ses combats auront été innombrables. Mais ses ennemis, au soir de sa retraite, auront finalement été mis en infériorité par ses amis. Des amis qu’il n’a jamais cherché à ménager. Jusqu’au bout. Martin Schulz, à qui il avait pourtant demandé de la fermer alors qu’il était occupé à agresser José Manuel Barroso, lui a laissé le double de son temps de parole, hier, pour ne pas couper « un grand discours ». Guy Verhofstadt, avec qui il a fondé le groupe fédéraliste Spinelli, était ému aux larmes à côté de lui. Le matin, Dany l’avait pourtant comparé à un « toutou » à la solde de Schulz et Juncker dans la course à la présidence de la Commission européenne.
Une ultime attaque fratricide qui résume le personnage. Un franc-parler à toute épreuve. Des colères mémorables. Un débatteur redoutable. Un Européen convaincu. Un défenseur de l’environnement, des libertés, des droits de l’homme et, peut-être surtout, du courage politique. A ses yeux, Nicolas Sarkozy, un brin pétrifié face à sa verve entrecoupée de trémolos d’émotion, en avait manqué, en 2008, en allant célébrer le début des Jeux olympiques à Pékin aux côtés d’un gouvernement qui bafoue pourtant les droits civiques de son peuple. A ses yeux Tony Blair en avait manqué en engageant son pays dans la guerre en Irak. A ce même Premier ministre, qui avait alors l’ambition de « changer l’Europe », Daniel Cohn-Bendit avait répondu « welcome in the club », chiche, rejoins-nous dans notre combat. C’était en 2005. Daniel a attendu Tony 9 ans sans succès. Aujourd’hui c’est finalement Dany qui rejoint Tony, dans le club des retraités de la vie politique.
En legs à sa famille politique, il laisse un dernier conseil : « n’ayez pas peur ! Affrontez les bêtises des eurosceptiques ! On peut être critique de l’Europe, mais si vous doutez de sa nécessité, vous avez perdu ». Attention à ne pas le décevoir. Retraite n’est pas synonyme de vœu de silence !